Nous estimons que l’approche écologiste actuelle est limitative et excluante. C’est une science (< logos) de notre manière actuelle et problématique d’habiter la Terre (< eco). Il faut prendre le train d’une approche plus profonde, parce que c’est nécessaire, et vrai.
Il faut (re)penser avec sagesse (< sophia) notre manière même d’habiter cette Terre (< eco) : exercer l‘écosophie. Nous pensons que nous sommes beaucoup à penser cela, mais qu’il nous manque un point de ralliement : nous sommes dispersé·es.
Ici, nous nous retrouvons.
Voici un Manifeste de cette approche autour duquel nous rallier, un plaidoyer pour une écosophie :
1. Écosophie, urgence, profondeur & accessibilité
Nous estimons que le modèle de société prédominant est construit sur des bases problématiques ; ce modèle nuit à la « santé » et au bien-être des habitants et composants de la Terre. Nous sommes donc « écosophistes » car nous réfléchissons au modèle même dans lequel nous évoluons et pas seulement à quelques-uns de ses curseurs.
Les positions critiques que nous adoptons résultent d’analyses profondément réfléchies et factuelles. Nous pensons qu’il est crucial et urgent que toustes puissent comprendre ces analyses pour enclencher un changement.
Concrètement, cela veut dire crier les problèmes et solutions sur les toits, crier nos analyses et en partager les raisons, en apportant une attention particulière dans tous nos travaux à la fois à la profondeur, à la rigueur et à la démocratisation — c’est un exercice difficile, mais crucial pour aller de l’avant toustes ensemble.
2. (Dé)croissance, progrès & développement, diversité
Nous estimons qu’une des bases particulièrement problématiques sur laquelle le modèle de société prédominant s’est construit est la notion de « croissance », « progrès » ou « développement » fondée sur des intérêts égoïstes — mâles, blancs, hétéro, riches —, de court-terme, quantitatifs, financiers et universels.
Ces intérêts sont ceux auxquels s’opposent toutes les luttes sociales ; il est donc souhaitable pour réussir à s’en éloigner de rassembler nos forces, sans oublier qu’il existe une infinie diversité de modèles valables en réponse, mais qui ont tous un dénominateur commun : la décroissance.
Concrètement, cela veut dire réinstaurer comme indicateurs de succès la qualité, le collectif, la durabilité, le bonheur et l’adaptation au milieu, et ce en nous intéressant à des cultures diverses, tant actuelles que passées, pour apprendre d’elles. Cela veut dire militer pour que la planète et une partie de ses habitants arrêtent de se démener pour satisfaire les désirs passagers d’autres habitants, moins nombreux. Cela veut dire militer pour la décroissance ensemble entre féministes, écologistes, écoféministes, antiracistes, anticolonialistes, queers, socialistes, communistes, pacifistes et toustes les autres car c’est notre point commun. Cela veut dire aider les gens à surmonter la peur que « la décroissance » engendre pour leur permettre de tendre vers elle.
3. Nature et complexité
Nous estimons que le terme de « Nature » pose problème car il est au centre de tous les débats alors que la définition que nous en donnons communément est vague, stéréotypée ou malsaine car fondée sur l’opposition historique et qui n’a pas lieu d’être entre « nature » et « culture ». Ceci est d’autant plus problématique que nous voyons actuellement ce concept comme un frein au mouvement décroissant car il a tendance à discriminer ou diviser plutôt qu’à unir, alors qu’il devrait y être central si nous le prenions dans son sens d’« habitat » : nous devons intégrer que nous ne sommes pas séparés du monde que nous habitons.
Concrètement, cela veut dire pousser à éloigner le terme « Nature » de son image de verdure et de paysage dépourvu d’humains pour lui redonner son sens plus complexe mais bien plus fédérateur d’« habitat ». Nous devons être les vigiles des discriminations qui peuvent être proférées sous son couvert : la solution à la crise des écologies que nous traversons n’est pas de déplacer des gens de leurs terres pour en faire des réserves naturelles, de vendre plus de produits labélisés naturels ou de pointer du doigt ce qui n’est pas normatif car il ne serait pas « naturel », mais de réfléchir ensemble à comment habiter la Terre de manière saine.
4. Mouvement et efficacité
Nous estimons que le modèle de société dominant nous a poussé·es à ne plus accorder d’importance au mouvement physique au profit d’une certaine notion de « progrès » et de « confort », ce qui pose aujourd’hui des problèmes particuliers de santé publique (y compris de bonheur) et d’utilisation des ressources planétaires. Il nous a poussé·es à oublier que nous habitons des corps et un monde reliés, complexes et fragiles, qui ont des besoins et sont des potentiels de richesse et de liberté.
Nous estimons que si le modèle de société prédominant ne permet souvent pas dans sa distribution du temps d’accorder cette place au mouvement physique, c’est que ce modèle doit changer.
Concrètement, cela veut dire défendre l’idée selon laquelle le mouvement physique des corps humains et de toutes les cellules qui les composent est à prendre très au sérieux car il permet l’indépendance vis-à-vis de ressources matérielles (jambes et bras en mouvement contre énergie fossile ou métaux et plastiques, peau en mouvement contre vêtements de soutien…), il encourage l’interaction et la solidarité (travail manuel collectif contre mécanisation individuelle, entre-aide physique…), et il libère les individus (autonomie physique, bien-être apporté par l’activité physique, bonheur et sérénité apportés par une dépendance réduite aux autres et aux objets…)
5. Écologie mentale : importance de l’abstrait, de l’esthétique, du spirituel, de l’art
Nous estimons que pour mettre en place une société saine, quelle qu’elle soit, l’art, l’imagination, l’abstrait, le spirituel et l’esthétique ont un rôle crucial à jouer qu’on n’évoque jamais : ils nous rendent sensibles vis-à-vis du Monde, ce qui est fondamental pour nous pousser à prendre ce Monde réellement en considération.
Ils nous rendent également résilient·es et donc libres car ils nous mettent à l’aise avec les formes complexes, peu identifiables, neuves : aise sans laquelle toute idée de changement est paralysante et toute créativité face à des problèmes est bridée.
Sans une forme de spiritualité par le biais d’une attention au sel de la vie, nous n’habitons pas notre condition de vivants car nous restons des sujets qui « font » mais ne « sont » pas, des sujets dont les yeux ne sont pas réellement ouverts au Monde. Nous ne pouvons pas non plus exercer la bienveillance nécessaire à une société saine.
Concrètement, cela veut dire amener sur le devant de la scène les liens entre sensibilité et écologies : il faut qu’ils réinvestissent l’éducation. Il faut encourager à prendre le temps, à s’émerveiller et à se laisser être touché·es car ce sont des choses qui ont une réelle répercussion dans la société.
Signez ce manifeste :
pour montrer que nous sommes nombreux·ses à partager cette analyse des problèmes
pour que nous puissions faire entendre notre voix, ensemble
Les personnes suivantes ont manifesté leur accord par signature électronique avec le manifeste rédigé et publié par Philomène :
Signataires :
- Juliette DESEILLIGNY, chercheuse en tout genre et pseudo-paysanne
- Sarah ERMOLI, responsable RSE
- Laura ISAZA, animatrice socio-culturelle
- François GUESDON, paysan-maraîcher
- Lauriane HAESTIE
- Jo-Hannah AIELLO , infirmière
- Louise DUPUIS, doctorante en informatique théorique
- Sofia PROTOPAPADAKI, chargée de mission pour l’Agence Parisienne du Climat, docteure en climatologie
- Tiphaine GUILLET, doctorante en économie eco–environnementale
- Aurélia REVEL, doula et passeuse de nature
- Pavlina VIGUIER, Artiste : créer, rafraîchir et réfléchir les couleurs
- Marie GIRARDOT