“C’est féminin”. Voilà une phrase qui n’a pas fini de m’énerver. Car non, au fond, ce n’est pas un compliment pour notre sexe. Et c’est une phrase que je n’ai pas non plus fini d’entendre, jusque dans le sujet de l’alimentation.
En quoi ça concerne l’environnement ? L’écoféminisme, ça vous parle ?
Tout le monde ou presque est coupable d’y avoir recours pour décrire, même des gens que j’aime et respecte autant que notre très chère Mercotte, et dont j’ai tout de même été très heureuse d’apprendre le positionnement contre l’utilisation de ce qualificatif bien qu’elle s’en serve, bien d’accord qu’il pose problème – cf son entretien dans l’Envers du Dessert du 21/10/20. J’espère donc qu’elle essayera de l’éviter dans les prochaines saisons du Meilleur Pâtissier, car quand on à recours à certains termes devant trois millions de téléspectateurs, la question de leurs potentiels effets sur notre subconscient se pose…
Qui a déjà réfléchi, en prononçant ces mots, à ce qu’ils voulaient réellement dire? Que “c’est” beau? que c’est délicat? Soigné? Chichiteux? Coloré? Fragile? Éphémère? Porté sur l’apparence? Tout cela à la fois? Pourquoi lier ces qualités au sexe féminin? (Question rhétorique s’il en est, malheureusement…)
C’est peut-être facile à dire beaucoup semblent oublier que le monde naturel ne reflètent pas du tout ce raccourci, adoré aujourd’hui, ni, d’ailleurs, le monde socialisé traditionnel dans lequel les contre-exemples en la matière sont très nombreux. Dans ces deux cadres, les couleurs, l’apparence, la parure ou les fleurs, pour ne citer qu’eux, sont autant, voire plus, l’apanage des mâles que des femelles.
Même si c’est inconscient, quand on lie le sexe féminin à ces valeurs on perpétue des valeurs très peu glorieuse héritées du passé: la femme comme ornement en opposition à l’homme, tête pensante; la femme préoccupée du futile, de la forme, en opposition à l’homme préoccupé du fond, de l’utile; la femme comme inspiration (passive), l’homme comme créateur (actif).
Sous couvert de positivité – la beauté, l’esthétique, le divin – cela renvoie à l’assujettissement millénaire de la femme, qui ne fait que changer d’apparence d’une époque à l’autre, et à un stigma réellement négatif de tout ce qui est relatif à la femme, car renvoyant d’une manière ou une autre à la faiblesse. Pourquoi donc les “choses féminines” seraient-ils bien moins désirables pour les hommes que les “choses masculines” ne le sont pour les femmes? Pensez métiers, vêtements, parures… Que les femmes aient le droit, et soient même encouragées, à “imiter” les hommes n’est pas, comme certain.e.s pourraient le penser, la marque d’un privilège, mais au contraire la preuve qu’il y existe toujours une hiérarchie entre les sexes et les valeurs qui leur sont liées, dans l’inconscient collectif: on peut aspirer à plus haut, à mieux, mais pourquoi diable voudrait-on se rabaisser? On peut aspirer à l’actif, mais pourquoi donc aspirer au passif?
A-t-on déjà vu un livre pour enfant sur les hommes de l’Histoire particulièrement doux et attentionnés? Ou un salon parisien mettant en avant les hommes soignants, travaillant dans la petite enfance, coiffeurs ou instituteurs (observation réelle d’un employé de la ville qui s’était rendu compte de cela alors qu’il organisait un salon sur les femmes dans l’armée)? Une mère de famille pilote de chasse, ça se “vend mieux” car c’est plus glamour, c’est une histoire de vaillance, de succès ; de la faiblesse vers la force. Et quand on cherche des recommandations de livres pour enfants qui déconstruisent les stéréotypes de genre, c’est (presque) toujours le même scénario…
“Mais arrêtez de chichiter!” — “Sinon y’a des vrais problèmes dans le monde!” — “On voit bien que vous n’en êtes pas à vous faire violer en meute!” — Je sens déjà venir les arguments de ce genre à ce type d’article, même émanant de cercles très proches et d’hommes pouvant se dire “féministes”, donc je tiens à être explicite sur ce point: déjà oui, on peut toujours trouver pire, mais si on ne s’occupe pas de problèmes sous prétexte, justement, qu’il y a pire qu’eux, on ne s’occuperait jamais de rien, mais surtout c’est sous couvert de “petits problèmes” que se cachent des grandes tendances de société. La sociologie du langage est un réel domaine d’études, fascinant d’ailleurs et on pourrait en parler des heures, qui analyse pourquoi et comment c’est en entendant partout que les choses belles, délicates, ornementales et éphémères ont à voir, de près ou de proue, avec les femmes que nous entretenons ces stéréotypes à l’échelle de la société entière, avec la multitude de “vrais problèmes” qui en découle… Cela vaut pour la question du genre comme pour tout autre problématique de société : le vocabulaire employé par les journalistes sportifs aux EUA pour parler d’athlètes noirs ou blancs à été démontré être très différent, chose que l’on peut supposer à la fois reflet et cause (partielle, évidemment) du racisme présent dans cette société.
Donc plutôt que d’employer des mots-valises dont nous ne mesurons pas l’impact, en cuisine comme ailleurs, exerçons-nous à remuer notre matière grise de temps en temps pour en extirper des mots précis et neutres. Ça nous donnera non seulement l’occasion de préciser notre pensée, mais aussi, qui sait, étoffer notre vocabulaire et découvrir un brin de cette richesse dont toutes les langues regorgent.
Sous le paradoxe de la triste limitation d’expression et de parure l’univers genré à l’occidentale masculin affirme sa prétendue supériorité. En adhérant à ce système binaire même dans la parole, et même dans les gâteaux, on continue à entretenir ce moche patriarcat colonialiste, le même que celui qui s’est mis à exploiter sur-intensément les ressources naturelles de cette terre, à en exterminer progressivement la biodiversité et à en polluer l’atmosphère.
L’écoféminisme, c’est comme la question décoloniale ou de justice sociale, ça parle de ce lien. De la suprématie et donc l’exploitation d’une poignée d’hommes blancs riches sur tout le reste : femmes, personnes non–blanches, pauvres, minorités en tout genre, et environnement.
Utiliser des qualificatifs sexistes–malgré–eux banalement à la télé renforce très insidieusement cette hiérarchie dans l’inconscient collectif, et contribue donc à entretenir les problèmes. On ne sortira de la crise actuelle que quand le care aura été remis au goût du jour de manière sérieuse – c’est à dire, aujourd’hui, masculine.
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